ARCHIVE - Les emplacements réservés (ER) vus par Seydou Traorë
Cette fiche, créée en octobre 2007 et actualisée en décembre 2016, propose une analyse des emplacements réservés qu’il peut être intéressant de consulter pour un regard sur ces emplacements tels qu’ils étaient à cette époque

Rédaction proposée par Seydou Traorë en 2007 - maître de conférences (HDR) de droit public à l’Université de Reims. Actualisé en 2016 par le Cerema.
ATTENTION : si cette fiche présente un intérêt rétrospectif, certains éléments évoqués ci-dessous ont évolué depuis.Cette fiche est donc proposée sur notre site uniquement pour l’intérêt qu’elle représente en tant que point de comparaison permettant d’entrevoir les évolutions législatives et réglementaires.POUR UNE APPROCHE PLUS RECENTE :Vous pouvez notamment consulter notre fiche outils sur les emplacements réservés.
L’aménagement de l’espace urbain n’est jamais uniforme. Pour tenir compte des différentes utilisations des sols, les autorités compétentes pour élaborer les documents d’urbanisme sont conduites à découper le territoire concerné en autant de zones qu’il y a de modes d’occupation ou d’utilisation. L’article L. 151-9 du Code de l’urbanisme (CU) impose aux plans locaux d’urbanisme (PLU) de délimiter des zones urbaines ou à urbaniser et des zones naturelles ou agricoles et forestières.
Cette technique du zonage permet d’identifier et de distinguer les secteurs résidentiels, agricoles, commerciaux, industriels, etc. tout en localisant les équipements publics. Depuis la loi n° 67-1253 du 30 décembre 1967 d’orientation foncière, sont distinguées deux catégories de zones : les zones ordinaires (découpage territorial normal et obligatoire que doit comporter tout PLU) régies par les articles R. 151-17 à R. 151-26 du Code de l’urbanisme et les zones spéciales (permettant des modulations spatiales à l’intérieur des zones ordinaires).
Les emplacements réservés sont au nombre des zones spéciales susceptibles d’être délimitées par les PLU en application de l’article L. 151-41 du CU. Réservés aux voies et ouvrages publics, aux installations d’intérêt général, aux espaces verts ou nécessaires aux continuités écologiques ou aux programmes de logement incluant une mixité sociale, ces emplacements traduisent un engagement des collectivités publiques relatif aux équipements et aménagements projetés sur leur territoire. La technique des emplacements réservés apparaît clairement comme une option sur des terrains que la collectivité publique bénéficiaire envisage d’acquérir pour un usage d’intérêt général futur.
I - Conditions de délimitation des emplacements réservés
Les PLU sont les seuls documents d’urbanisme recevables à délimiter des zones soumises à des règles spéciales appelées "emplacements réservés" (cf. article L. 151-41 précité et et CE, 16 mai 2011, Société LGD développement, n˚ 324 96). Ces emplacements soumis à un statut particulier se distinguent des autres zones spéciales par leur destination et leur champ d’application.
1. Destination des emplacements réservés par les PLU :
La notion d’emplacements réservés au sens du Code de l’urbanisme est circonscrite par la destination, légalement prédéterminée, à donner aux biens visés. L’article L. 151-41 du CU prescrit qu’un emplacement ne peut être réservé que si le bien est destiné à recevoir :
- Des voies publiques (autoroutes, routes, rues, places, chemins, pistes cyclables, parcs de stationnement).
L’article L. 151-38 du CU permet aux PLU de préciser : le tracé et les caractéristiques des voies de circulation à conserver, à créer ou à modifier. Cette disposition est complémentaire de celle de l’article L. 151-41 : l’objectif et les moyens de l’atteindre.
- Des ouvrages publics qui correspondent, au-delà de la notion juridique, aux grands équipements d’infrastructure et de superstructure réalisés par les personnes publiques.
Sont visés les canaux, les voies ferrées, les aérodromes, les réservoirs, les stations d’épuration, les grands collecteurs d’assainissement, les équipements scolaires, sanitaires, sociaux, administratifs, etc.
- Des installations d’intérêt général (à créer ou à modifier). On entend par "installations d’intérêt général" au sens de l’article L. 151-41 (2°) du CU, selon la doctrine et la jurisprudence, des installations ou équipements satisfaisant un besoin collectif, par opposition à des opérations et constructions destinées à une utilisation privative (CE, 30 mars 1981, Belquioud et autres ; Circulaire n° 78-14 du 14 janvier 1978, MTP, 6 mars 1978 : exclusion des lotissements).
A titre d’exemples, un emplacement a pu être réservé pour un édifice cultuel (CE, 25 septembre 1996, Syndicat des propriétaires de l’immeuble, n° 109754), pour un camping municipal ou pour une aire d’accueil pour les nomades (CE, 25 mars 1988, Ville de Lille, n° 54411).
- Des espaces verts ou nécessaires aux continuités écologiques (trame verte en milieu urbain, parc public, etc). Une commune peut par exemple prévoir un emplacement réservé sur un terrain privé en vue d’étendre ses espaces verts (CAA Douai, 29 mars 2007, commune de Gouvieux, n° 06DA01077).
- Et, dans les zones urbaines et à urbaniser (U et AU), des programmes de logements respectant les objectifs de mixité sociale.
Pour cette dernière catégorie, en vue de la réalisation du programme, le dossier de la demande de permis de construire devra être complété par un tableau indiquant la surface de plancher des logements créés correspondant aux catégories de logements dont la construction sur le terrain est imposée par le PLU (article R. 431-16-1 du CU).
2. Champ d’application des emplacements réservés :
Si la liste résultant des dispositions de l’article L. 151-41 (2°) du CU visant les équipements et installations susceptibles de bénéficier de la procédure d’emplacement réservé a un caractère limitatif, le champ d’application de ces mêmes emplacements réservés a une portée générale. L’article L. 152-2 du Code de l’urbanisme ouvre aux PLU la possibilité de réserver, dans cette rubrique, "un terrain bâti ou non bâti". Sont donc visés les biens immeubles jugés nécessaires à l’accueil de l’ouvrage public, de la voie publique, de l’installation d’intérêt général ou de l’espace vert.
La superficie des emplacements réservés n’est pas limitée. Elle est déterminée par l’emprise nécessaire à la réalisation des équipements projetés mais doit être délimitée avec précision (CE, 30 janvier 1991, M. Pierre X, n° 77225 ; MTP 29 mai 1991).
3. Bénéficiaires des emplacements réservés :
En application de l’article L. 152-2 du Code de l’urbanisme, le bénéficiaire d’un emplacement réservé, au sens de l’article L. 151-41 de ce même code, est une collectivité publique (État, régions, départements, communes, établissements publics de coopération intercommunale) ou un organisme chargé de la gestion d’une activité de service public (établissement public ou personne privée, titulaire d’une délégation, sociétés d’économie mixte…).
II - Procédure de création des emplacements réservés
Si plusieurs autres procédures peuvent être utilisées par les collectivités publiques pour préserver ou acquérir des biens immeubles jugés nécessaires à la réalisation des projets et opérations d’intérêt général (le droit de préemption, les réserves foncières, l’alignement, la cession gratuite de terrains, les espaces boisés classés, les servitudes d’utilité publique, l’expropriation pour cause d’utilité publique, etc.), la procédure d’inscription d’un emplacement réservé dans un PLU se distingue par des spécificités qui lui sont propres.
1. Phase de création :
L’inscription d’un emplacement réservé intervient durant la phase d’élaboration ou d’évolution du plan local d’urbanisme au cours de laquelle sont délimitées les différentes zones. Les articles L. 151-41, R. 151-38 (pour les programmes de logements avec mixité sociale), R. 151-43 (pour les espaces verts et continuités écologiques), R. 151-48 (pour les voies publiques) ou encore R. 151-50 (pour les ouvrages publics) du Code de l’urbanisme se combinent pour définir les conditions de cette inscription dans le règlement du PLU.
En prévoyant que les PLU peuvent fixer les emplacements réservés, l’article L. 151-41 du Code de l’urbanisme ouvre aux autorités compétentes (conseil municipal ou organe délibérant de l’EPCI) une faculté susceptible d’être mise en oeuvre soit à l’initiative de la commune ou de l’EPCI, soit à l’initiative de l’une des personnes publiques ou privées recevables à être bénéficiaires d’un emplacement réservé.
2. Effets de la création d’un emplacement réservé :
La création d’un emplacement réservé emporte plusieurs conséquences pratiques, juridiques et foncières caractéristiques de la procédure.
2.1. Les avantages informatifs liés à l’inscription d’un emplacement réservé :
Prévue pour accueillir la réalisation d’un équipement ou d’une opération d’intérêt général, la création d’un emplacement réservé permet :
- de planifier la localisation des équipements ;
- d’annoncer, d’identifier et de localiser le projet correspondant, tout en désignant le bénéficiaire et le responsable ;
- de préserver la localisation ;
- et de dimensionner, le cas échéant, les immeubles réservés aux besoins des équipements à réaliser.
2.2. Le contentieux de l’acte créant un emplacement réservé :
La décision par laquelle est créé un emplacement réservé est susceptible de recours pour excès de pouvoir. Les propriétaires des biens immeubles visés ont intérêt à agir contre la décision. Le juge administratif, pour tenir compte du pouvoir discrétionnaire reconnu aux autorités compétentes, limite son contrôle à la vérification de l’erreur manifeste d’appréciation (CE, 13 mai 1989, Ducos-Fonfrède, n° 583, in Droit Administratif 1989, ; TA Nice, 18 janvier 1996, SCI Bepyjo, in RFDA 1996, p. 580 ; CE, 19 décembre 2007, n˚297148).
Quelques jurisprudences posant des limites aux emplacements réservés :
- Est annulée pour erreur manifeste d’appréciation la révision d’un plan d’occupation des sols (POS) en tant qu’elle a entendu maintenir le classement d’un terrain en emplacement réservé, alors même que le projet qui avait justifié le classement initial avait été abandonné, étant donné la durée du classement -quarante ans- (CE, 17 mai 2002, Mme Kergall, n° 221186, in BJDU n° 3/2002, p. 195, conclusions Ch. Maugüé ; et Construction-Urbanisme 2002, n° 212, note Ph. Benoit-Cattin).
- Est illégale la délibération approuvant la modification d’un POS et instituant un emplacement réservé au profit de la commune dont la destination n’est précisée par aucun document et qui ne répond à aucun projet réellement envisagé (TA Nantes, 7 mai 2003, M. et Mme Lanjoire et M. et Mme Rouger, n° 9904383 et 9904404 -in Construction-Urbanisme, novembre 2003, n° 259, note Ph. Benoit-Cattin).
- Est entachée d’erreur manifeste d’appréciation la création d’un emplacement réservé de 9000 m2 pour un parc de stationnement et l’aménagement d’un carrefour qui, au moment où elle a été décidée, n’apparaît pas justifiée compte tenu du parti d’urbanisme de la commune (CAA Lyon, 25 mai 2004, M. Alain Giroud c/ Commune de Saint-Clair-de-la-Tour, n° 00LY01411, in BJDU n° 5/2004, p. 360, observations Jean-François Joye).
3. Les sujétions inhérentes à la création d’un emplacement réservé :
En sa qualité de zone spéciale du PLU, un emplacement réservé substitue, dès la publication de l’acte approuvant le PLU, ses règles particulières à celles du règlement de la zone ordinaire dans laquelle il est situé.
Pour garantir la disponibilité de l’emplacement réservé, les propriétés concernées sont rendues inconstructibles pour tout autre objet que celui fixé par cette réserve. Il s’agit, néanmoins, d’une inconstructibilité relative et temporaire :
- temporaire, dans la mesure où un emplacement réservé est instauré en attendant la réalisation effective de l’ouvrage ou l’aménagement projeté, et où il peut être modifié ou supprimé à l’occasion d’une évolution du PLU ;
- relative, dans la mesure où :
- ces emplacements ne sont pas opposables à toutes les demandes d’autorisation (voir par exemple pour l’édification d’une clôture sur un emplacement réservé voirie : CE, 31 juillet 1996, Mme Antoinette X, n˚129058)
- en attendant la réalisation de l’ouvrage ou de l’aménagement visé, des ouvrages à caractère précaire peuvent être installés sur des emplacements réservés (voir point III ci-dessous).
- Si le juge administratif rappelle que "l’autorité administrative chargée de délivrer le permis de construire est tenue de refuser toute demande, même émanant de la personne bénéficiaire de la réserve, dont l’ objet ne serait pas conforme à la destination de l’emplacement réservé, tant qu’ aucune modification du PLU emportant changement de la destination n’est intervenue", il précise que, toutefois, "un permis de construire portant à la fois sur l’opération en vue de laquelle l’emplacement a été réservé et sur un autre projet peut être légalement délivré, dès lors que ce dernier projet est compatible avec la destination assignée à l’emplacement réservé" (CE, 20 juin 2016, M. C…F…, société Nawak et Ventilo et autres, n˚386978).
Le bénéficiaire de l’emplacement réservé, une fois acquises les propriétés immobilières concernées, pourra réaliser le projet qui avait justifié le classement, conformément aux prescriptions et règles définies par le PLU pour la zone. On passe du régime de protection à l’application du PLU.
III - Droits et garanties attachés a l’existence d’un emplacement réservé
Le régime juridique des emplacements réservés tel qu’il résulte des dispositions du Code de l’urbanisme organise un équilibre entre les prérogatives reconnues au bénéficiaire de l’emplacement et les droits et compensations accordés aux propriétaires des biens visés.
1. Droits et les compensations accordés aux propriétaires :
La création d’un emplacement réservé n’affecte pas la propriété des biens immeubles qui y sont situés. Le bénéficiaire ne devient pas propriétaire de l’emplacement convoité. Il prend une option sur les biens qu’il envisage d’acquérir. En attendant cette acquisition, des droits sont ouverts aux propriétaires afin de compenser l’inconstructibilité ayant résulté de la création de l’emplacement réservé.
- L’article L. 152-2 du CU ouvre aux propriétaires d’emplacements réservés un droit de délaissement leur permettant de mettre les bénéficiaires en demeure d’acquérir ou de lever la réserve.
- Le propriétaire d’un terrain bâti ou non bâti réservé par un PLU peut, dès que le plan est rendu opposable, exiger de la collectivité publique ou du service public au bénéfice duquel le terrain a été réservé qu’il soit procédé à son acquisition dans les conditions et délais mentionnés aux articles L. 230-1 et suivants du CU.
- Les articles L. 230-1 et suivants précités disposent que le droit de délaissement, qui prend la forme d’une mise en demeure, ouvre au bénéficiaire un délai d’un an à compter du dépôt de la demande en mairie pour se prononcer. L’acquisition peut se faire :
- à l’amiable. Dans ce cas, le prix d’acquisition doit être payé au plus tard 2 ans à compter de la réception en mairie de la demande.
- ou, en cas de désaccord, par le juge de l’expropriation qui prononce alors le transfert de propriété et la fixation du prix (incluant aussi certaines indemnités, notamment de remploi comme en matière d’expropriation). Le propriétaire qui a exercé son droit de délaissement peut se désister comme il peut requérir l’emprise totale de son bien partiellement classé (articles L. 230-3 du Code de l’urbanisme et L. 242-1 à L. 242-5 du Code de l’expropriation pour cause d’utilité publique).
- Le propriétaire d’un bien situé dans un emplacement réservé peut, en dépit de l’inconstructibilité inhérente au classement, obtenir l’autorisation de réaliser des constructions temporaires sur son terrain (article L. 433-3 du Code de l’urbanisme). Seules les constructions à caractère définitif y sont interdites en vue de garantir la disponibilité de l’emplacement par rapport à la réalisation du projet ayant justifié sa création. Dans ce cadre :
- Les constructions à caractère temporaire susceptibles d’être réalisées sont soumises à autorisation préalable (articles L.433-1 et R.433-1 du CU) : un permis de construire précaire peut exceptionnellement être délivré dans les conditions prescrites par le Code de l’urbanisme et sur avis favorable de la collectivité intéressée par l’opération.
- Les constructions à édifier dans le périmètre de l’emplacement réservé doivent avoir un caractère provisoire (facilement démontables). La délivrance de ce permis de construire précaire peut être subordonnée, pour cette raison, à l’engagement du pétitionnaire à enlever, sans indemnité, les bâtiments à édifier et les bâtiments existants. Le permis précaire peut fixer un délai d’expiration.
- A la première demande du bénéficiaire de l’emplacement réservé, le bénéficiaire du permis de construire ou son ayant droit devra enlever sans indemnité la construction et remettre, à ses frais, le terrain en l’état (article L. 433-3 du Code de l’urbanisme)
2. Les prérogatives consenties aux bénéficiaires des emplacements réservés :
Justifiées par l’intérêt général attaché à la réalisation des équipements publics projetés, mais compensées par des droits reconnus aux propriétaires, des prérogatives de puissance publique sont conférées aux bénéficiaires des emplacements réservés. Leur exercice restant placé sous le contrôle du juge.
- Les emplacements réservés n’ont pas de durée initialement fixée. Ils peuvent être supprimés à tout moment par les autorités compétentes à l’occasion d’une révision ou modification du PLU. Lorsque le bénéficiaire est différent de la commune ou de l’EPCI dont le document d’urbanisme est à l’origine de la réserve, la suppression est subordonnée à son accord préalable (CE, 4 février 1991, Département du Val-de-Marne c/ Commune de Saint-Maur-des-Fossés, in Droit Administratif 1991, n° 206). La décision portant suppression d’un emplacement réservé peut entacher d’illégalité la modification ou la révision du document d’urbanisme (CE, 4 mars 1994, Madame Charlet et autres, n° 132473).
- Un emplacement réservé, en dehors de toute suppression, peut être réduit à la demande de son bénéficiaire à l’occasion d’une évolution du PLU.
Textes de références :
Code de l’urbanisme : voir articles précités et liens Internet dans le corps de la fiche
Bibliographie
- J.-P. Cordelier , nouveau régime des terrains réservés , RDI 1987, p. 1 ,
- A. Givaudan , Des emplacements de moins en moins réservés , RFDA 1986, p. 644 ,
- V. Lavallée-Foudraz , Les emplacements réservés dans les POS , Berger-Levrault, 1987 ,
- D. Musso , Suppression d’emplacements réservés , JCP éd. N 1987.Prat.87 , Les délaissements, RDI 1994, p. 193